DREAMER

...  rencontres indiennes ...... J'aime les rencontres ,
les plus attendues comme les plus inattendues..les fugitives ou celles qui durent....
j'aime l'image croisée au hasard  qu'on imprime d'un déclic
pour la graver ailleurs que dans une mémoire que l'on craint défaillante...
....Un train entre Delhi et Bénarés..
un train des Indes...avec ses wagons à bestiaux bondés pour les natifs ,
grappes humaines accrochées sur leurs flancs comme elles peuvent ,
en instable équilibres sur les toits avec leurs paquets multicolores....
avec ses wagons blindés pour touristes , les barreaux aux fenêtres et portes verrouillées
pour les protéger de la misère ..vision de bras décharnés qui se tendent malgré tout sous le nez.....
en quête d'une pièce ou d'un peu de nourriture......
gardes enturbannés qui les chassent à coups de bâtons.....
et ce mendiant très digne avec son singe sur l'épaule ...
échange d'une grimace contre un sourire et l'intégralité de mon plateau repas..

 
Inde 74

C'est l'été 74 ,

la tête encore pleine des mélodies envoûtantes de George Harrison ,

je suis parti en Inde sur les traces des Beatles ... ...

Je me perd dans les ruelles du vieux Delhi , je balade mon objectif

dans les ashrams qu'ils auraient pu visiter ,

je traque les visages mystérieux de gurus ou saddhus

qu'il auraient pu rencontrer ... je m'égare dans les parfums d'encens

et les rythmes obsédants de ragas lancinants

qu'ils auraient pu entendre ....

......irrépressible désir de s'asseoir là , ... ne plus bouger ....

se laisser prendre par l'esprit dans un voyage sans fin...

J'ai pris cette photo l'été 75 sur le marché d'Hodeida au Yemen . 

J'avais pris l'habitude de voir le monde dans le cadrage de mon objectif ,

l'oeil collé à l'oeilleton je me sentais protégé par une armure imaginaire ,

je voyais la vie comme on regarde un film .

Mes véritables chocs de voyages , je les avais à mon retour ,

après le développement des pellicules .

J'ai fait des milliers de photos , la plupart oubliées ,

celle-ci me hante depuis bientôt trente-cinq ans ,

je ne saurais dire pourquoi , au-delà de la composition et de la couleur ,

peut-être ce regard qui me transperce et me met mal à l'aise ,

comme si aujourd'hui encore elle m'en voulait

de lui avoir volé 1/1000 ème de seconde de son étrange beauté .

Dabord il avait fallu se lever très tôt ,

dans le petit matin glacial prendre au départ de Cuzco

l'antique train à crémaillère qui nous mènerait au pied de la montagne... ensuite , enveloppés dans nos ponchos à grelotter

sans parvenir à se réchauffer , gravir quelques kilomètres

sur un chemin pierreux à flanc de versant , trimballés comme des ballots

à l'arrière d'un camion rouillé probablement échappé

d'une quelconque casse Péruvienne.....

déposés en fin de route , au bout de nulle part ,

restait à escalader le sentier abrupt et sinueux qui verrait la récompense

de nos efforts.....

A mesure de progression , l'antique cité émergeait de la brume ,

en sueur et le souffle court le froid était oublié.... un étrange silence ...troublé seulement par nos pas sur les pierres branlantes …

un silence humide au parfum de mousse et de lichen …

j'étais sur le point de découvrir le plus envoûtant des sites

qu'il m'est été donné de voir …

je savais déjà que pour le reste de ma vie

il figurerait aux premières places du hit-parade de mes souvenirs....